Discours d'Henri de Latour le 11 novembre 2016
En 1914, la percée des troupes allemandes en Belgique et dans le nord de la France est si rapide que plus de 400 000 civils, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards, se retrouvent sur les routes fuyant les zones de combat. Les journaux et la rumeur faisaient état d'exécutions de civils, de prisonniers dont les mains étaient coupées pour qu'ils ne puissent plus se battre et c’était sans compter les viols et autres atrocités.
Bien des Français n'aimaient pas ces gens du Nord. À la fin de la guerre Pétain déclarait avec mépris : "Souvenez-vous de ces colonnes de fuyards, comprenant des femmes, des enfants, des vieillards, juchés sur des véhicules de toute nature avançant au hasard, dominés par la peur et la volonté d'échapper à l'ennemi..." On les appelait les "Boches du Nord".
Avec le recul, nous éprouvons un sentiment de révolte et d'incompréhension devant une telle injustice. Ces pauvres gens avaient perdu leurs maisons, et les acquis de toute une vie. Au lieu d’être traités en parias, ils auraient dû être accueillis à bras ouverts.
La question se repose aujourd’hui dans les mêmes termes, avec les réfugiés du Moyen Orient. Fidèles à nos traditions d’accueil et de solidarité, nous tentons d’y répondre dans la mesure de nos moyens. Nous accueillons depuis tout juste un an une famille d’Afghans composée de 4 enfants et 3 adultes. Félicitons ces citoyens Lasallois qui se sont regroupés en collectif et nous permettent d’être fiers et heureux d’avoir apporté notre contribution aux malheurs du monde.
Entre mai et juin 1914, au terme d'une errance d'un peu plus de 500km, les réfugiés ont perdu 90.000 enfants sur les routes de France. Les réfugiés Syriens ont parcouru durant des mois plus de 5000 kilomètres. On ne sait pas combien d'enfants ont été abandonnés sur les routes, combien de viols ou d'abus ont été commis par des prédateurs opportunistes, parfois en bandes organisées, souvent couverts par les autorités....
La population civile est en effet, depuis la seconde guerre mondiale, délibérément prise pour cible. Les états major ont eu l’idée de s’en prendre à la population civile pour faire plier l'adversaire. Aucun camp n'est exempt d'un tel reproche ; les Alliés eux-mêmes, nos libérateurs, ont appliqué cette logique à Dresde et à Hiroshima.
Heureusement, pour nous guider et nous donner à espérer, nous trouvons dans cette même Histoire les modèles d'un comportement exemplaire, comme celui de ce préfet resté en 40 à son poste, aidant les réfugiés au point de s'improviser boulanger. Il s'appelait Jean Moulin. Il avait fait sien, magnifiquement, ce troisième terme de la devise républicaine : il incarnait la fraternité.
Il s'agit en effet de nous reconnaître dans l'autre ; de nous souvenir, par exemple, que ces «évacués» de 14-18 dont je rappelais le triste sort, ont souvent été adoptés, in fine, par les populations locales, au point, parfois, de s'y installer et d'y faire souche ; certains de leurs descendants sont sans doute parmi nous.
Souvenons-nous en, et relevons la tête ; en un moment où semblent triompher les idées courtes, l'obscurantisme et l'appel à la haine, nous sommes plus que jamais rappelés au devoir de résistance et de courage dont nos parents et grands parents ont su nous transmettre l'exemple.
Vive la République, vive la France, vive les Cévennes libres et accueillantes !