Discours d'Henri de Latour le 8 mai 2012
Comment faire bon usage des commémorations, sans se cantonner au rituel des paroles convenues ?
Pour bien apprécier la valeur de ce 8 mai, il faut le connecter à une autre date, à un acte historique posé par le Conseil National de la Résistance, plus d’un an auparavant, dès le 15 mars 1944 : c’est à ce moment clef, en effet, que ces hommes et ces femmes ont élaboré le programme auquel ils ont attaché leur nom.
Entre cette date et la fin de la guerre, certains de ces hommes et de ces femmes sont allés jusqu’au sacrifice suprême, non seulement pour concourir à la victoire, mais aussi avec à l’esprit un enjeu à plus long terme : la construction d’une société idéalement égalitaire et juste.
Je voudrais ici leur rendre un hommage.
Parmi leurs objectifs, en harmonie avec leurs valeurs, mentionnons des mesures politiques comme le rétablissement de la démocratie, du suffrage universel, de la liberté de la presse, un plan complet de sécurité sociale, et enfin l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie.
On peut dire de ces gens-là qu’ils étaient visionnaires…
Que reste-t-il de ces valeurs ?
La réalité d’aujourd’hui risque de les faire se retourner dans leur tombe.
Heureusement, certains ont vécu assez longtemps pour continuer à nous fournir leurs repères, et, au besoin, nous mettre en garde.
Je profite de cette occasion pour rendre un hommage à Raymond Aubrac récemment décédé et Stéphane Hessel. Nous les avions reçu à Lasalle. Ces deux grands résistants se sont retrouvés en 2004 (quatre ans avant la dernière crise) pour élaborer ensemble une déclaration dont je crois important de vous donner lecture :
: « Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte. Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais : Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.
Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : «Créer, c’est résister. Résister, c’est créer».
Il faut malheureusement constater qu’aujourd’hui la xénophobie et l’islamophobie sont le ciment de la droite extrême. La façade a été repeinte, mais l’intérieur reste le même. On comprend que l’héritage idéologique soit encombrant car historiquement cette tendance vient du pétainisme et s’est construit sur le dos de l’Algérie française. Il est probable qu’une partie des électeurs l’ignorent.
Il faut combattre sans répit et avec la plus grande détermination la stratégie du bouc-émissaire. C’était autrefois la faute aux « métèques » italiens, espagnols ou polonais, c’est aujourd’hui la faute « aux Arabes et aux Noirs ». Le fond du discours n’a jamais changé.
Ne nous laissons pas abuser par ces sentiments de haine. Honorons en ce 8 mai les sacrifices consentis par nos prédécesseurs pour une société authentiquement humaniste, respectons l’être Humain quel qu’il soit : c’est le meilleur moyen de nous respecter nous-mêmes.
Vive les Cévennes libres.
Vive la France